Interview 11
On s'installe dans un resto d'Angoulême, qui
fait des spécialités savoyardes, on commande, et hop,
c'est partie pour 20 minutes d'interview..
Six mois après la sortie en librairie de Gribouillis,
est ce que tu peux nous faire un bilan?
Gribouillis est un flop. Il s'est vendu à 3700 exemplaires,
sur les 10000 tirés. Les retours des librairies vont bientôt s'arrêter,
donc, maintenant, le chiffre de vente ne peut que progresser… C'est
un album qui n'ira pas au pilon, je pense qu'il se vendra sur plusieurs
années, avec les sorties des albums de la Nef.
Tu as eu des réactions de l'éditeur ? Qu'est ce
qu'il en a pensé ?
Je n'en sais strictement rien. Il a juste dû penser que ce n'était
pas une bonne vente. Ca n'a pas modifié notre relation, il a juste
dû se dire que c'était un fantasme d'auteur de dessiner ce bouquin,
et que j'allais revenir sur le droit chemin tout de suite.
Du noir et blanc, une histoire triste et dure,
tu n'avais pas choisis la facilité…
C'est ce que j'avais envie de faire, c'est ce que j'avais envie de
raconter. Quand j'ai attaqué Gribouillis, je ne me suis pas
dit que j'allais vendre beaucoup d'albums, je n'ai pas du tout pensé
à ça. J'avais une histoire, j'avais quelque chose qui me tenait à
cœur, je me suis lancé dedans, et je l'ai raconté. Gribouillis,
je l'ai fait pour mon plaisir avant tout. J'avais ça en moi, il fallait
que je le fasse, et ça a été fait. Après, les retombées financières,
je les assume. Je compte quand même faire un deuxième tome, après
la Nef 5 ou 6, parce qu'il faut que je finisse l'histoire.
Est-ce que tu pourrais nous expliquer cette fin
: Gribouillis disparaît, et on ne sait pas très bien pourquoi…
Il avait une mission à faire dans cet album : retrouver les yeux de
Dentelles et l'aider à se séparer du petit diable. Il disparaît parce
qu'il n'a pas eu l'imagination, la force et la volonté de le faire.
Et ce n'était pas si simple à faire. Gribouillis ne fait presque
rien dans l'histoire, à part deux choses : il s'échappe pendant le
repas, et il attrape Dentelle dans l'escalier. C'est un simple spectateur.
Gribouillis n'a pas encore pris vie dans cet album, mais dans le tome
2, il finira par prendre vie, et il prendra la parole.
Pourquoi ne pas avoir édité l'album dans la collection
Encrage, comme prévu au départ ?
Au départ, il n'était pas prévu en Encrage. Il devait être au format
Encrage, mais cartonné, comme les albums de Bones, de Jeff
Smith. Mais, au festival d'Angoulême 2003, on [note : Guy
Delcourt et Turf] a pensé que c'était dommage de réduire autant les
pages. Finalement, je ne sais pas si c'était une bonne idée de le
faire en grand format. Peut-être que l'album aurait été encore plus
chouette en tout petit.
D'où t'es venu l'idée de faire une fin inédite
pour le TT de Forbidden Zone ?
Depuis le début de Gribouillis, l'idée était de le mettre sur
un autre support que le catalogue : j'ai une vague idée, qui va peut-être
servir, c'est de le faire apparaître sur une carte de vœux de Noël
avec un père Noël. Evidement, il s'aperçoit qu'il y a un gribouillis.
Ca donnerait une histoire en couleur. Pour Forbidden Zone, j'avais
envie de faire un happy end : Gribouillis s'échappe de l'album,
il saute avec Dentelle, et ils atterrissent sur une carte postale
d'un couché de soleil. Ca donne une ambiance romantique. Elle n'a
pas trouvé ses yeux, mais ils se sont échappés du catalogue, et de
tous leurs soucis.
Est-ce que ce n'est pas trop dur de se remettre
à travailler sur la Nef des Fous ?
Si. C'est très fatiguant. J'avais oublié que c'était aussi lourd.
Pour Gribouillis, j'avais pris un rythme sympathique : une
page tous les deux jours, même si c'était tous les jours pendant six
mois. La Nef, c'est une page par semaine, voire une page tous
les dix jours. On n'a plus la même joie, la même envie de raconter.
Quand j'ai une idée pour une planche, je sais qu'il va me falloir
quarante heures pour finaliser cette idée. Sur Gribouillis,
il ne me fallait que deux jours. Je pouvais passer à l'idée suivante
que j'avais déjà en tête. Pour la Nef, au moment d'attaquer
la page, il arrive que l'envie de dessiner cette idée soit passée.
Quel rythme est ce que tu as en ce moment ?
J'arrive quand même à faire mes pages relativement vite, en 4 ou 5
jours. Le problème vient du fait que les intervalles entre les pages
se sont allongés. Après avoir fini une page, il me faut en général
10 jours pour me remettre au travail.
Est-ce que tu as des objectifs pour la date de
sortie du nouvel album ?
J'aimerai bien finir l'album [note: qui s'intitulera Puzzle]
en juillet pour qu'il soit en librairie en septembre, octobre. Ca
ne sera pas évident de tenir le rythme de 6 pages par mois, d'autant
que j'ai des pages pour les fables de La Fontaine à faire entre
temps. On va voir…
Dans tes projets à venir, on parle d'un livre
qui présentera tes travaux. Est-ce que tu peux nous en dire plus ?
Il y a pas mal d'illustrations qui traînent, à droite à gauche : des
projets de couverture, des pages inédites, des ex-libris pas trop
connus. Ce serait dommage de ne pas en faire profiter tout le monde
(rires). J'ai donc proposé à Delcourt de faire une sorte de recueil,
ce serait une sorte de prolongement de mes albums, de mon univers.
Un art book ?
Non, graphiquement, je ne pense pas être au niveau.
Sous quelle forme est ce que ça se présenterait
?
Il y aura une interview, réalisée par Christophe [note : de
BDmotion] où j'essaierai de dire des trucs intéressants. Et surtout,
chaque dessin sera commenté : ce ne sera pas une simple galerie d'image.
Je vais aussi surveiller la mise en page : je ne veux pas une mise
en page moderne faite par ordinateur.
Qu'est ce qu'on peut te souhaiter pour cette année
2004 ?
D'abord, finir le tome 5 de la Nef des Fous et [note : il réfléchit]
faire de bonnes pages pour les fables de La Fontaine. Ce serait
déjà pas mal.
Propos recueillis par Fabien Bourg au festival d'Angoulême
2004, entre deux bouchées de tartiflette.
retour aux interwiews